Les enseignes qui réussissent en ce moment ont développé des concepts originaux pour se démarquer de leurs concurrents.
« J’ai vu une annonce sur Homegate pour ce local et j’ai tout de suite créé une conversation Facebook que j’avais appelée « On se lance ?», raconte Arthur Prost, l’un des cinq associés gérants du café-restaurant Le Pointu, situé à Lausanne, à deux pas de la Riponne. « Je suis chaud !», lui avait répondu Steve. C’était en mars 2016. En juillet, le bail était signé. En septembre, l’enseigne ouvrait ses portes. Et en octobre, victimes de leur succès, les cinq compères, tous diplômés de l’Ecole hôtelière, ont dû refuser des clients. Quelle est leur recette ? De la décoration aux menus, ils ont misé sur un concept : le fait maison. « Pour nous, il manquait un lieu comme celui-ci à Lausanne, où l’on se sent bien, comme à la maison.
Et c’est bien souvent sur la base de ce constat que naissent les nouvelles enseignes. Rien que dans la capitale olympique, en quelques mois, plusieurs nouveaux restaurants typés ont pointé le bout de leur nez : Le Pointu en septembre, le Café Végé en octobre. De son côté, The Bad Hunter, issu du même groupe que Holy Cow ! cuisinera des plats végétariens dès le 3 novembre prochain. The Sleepy Bear et ses cafés de spécialités ouvrira d’ici quelques semaines.
En Suisse mais aussi dans le monde, de nombreux concepts existent : plats bio, végétariens, vegan ou avec des produits locaux, food trucks, restaurants éphémères, menus surprises, monoplat, établissements lancés grâce au financement participatif, cuisine avec des ingrédients abîmés, voire périmés.
Ces adresses originales rencontrent souvent un tel succès, que leur patron décide de les implanter à d’autres endroits. D’abord dans la région, puis en Suisse alémanique, ou vice-versa. Un concept unique peut devenir, en fin de compte, une petite chaîne de restauration. Le groupe suisse PIQ en est l’exemple. Il a conquis Lausanne avec le premier restaurant de hamburgers Holy Cow !, et désormais, huit autres établissements ont fleuri à travers le pays et quatre nouveaux concepts ont éclos: Burrito Brothers, Funky Chicken, Wawa’s Asian Kitchen et bientôt, The Bad Hunter, restaurant végétarien. L’ouverture de ce dernier démontre deux choses selon Gilles Meystre, président de Gastro Vaud : « Il est nécessaire de changer de concept lorsque celui-ci s’essouffle et le créneau du burger est désormais saturé ».
Avec ses plats 100% naturels, sans gluten et lactose, végétarien et végane, Takinoa avait déjà repéré le filon en 2011, lorsqu’il a ouvert son premier restaurant. Il serait même le précurseur du « manger sain » en Suisse romande, selon son fondateur Eric Lebel et son directeur Benoît Rol. Selon lui, il ne s’agit pas d’une simple tendance mais d’un changement radical de mode de vie des Suisses. Cinq ans après le lancement de Takinoa, l’enseigne compte sept points de vente entre Lausanne et Genève, en passant par Nyon et Gland. D’ici fin 2017, elle s’attaquera au marché alémanique avec un premier restaurant à Zurich. « Le plus grand défi des enseignes végétariennes est de maintenir une certaine constance en termes de qualité et de créativité, tout en faisant du profit sur des produits bon marché », relève Dominique Turpin, professeur de marketing à l’International institute for management development (IMD). Une évolution qu’il suivra de près, et notamment avec l’arrivée de Tibits à la gare de Lausanne.
Dans un autre style, le concept du monoplat, qui supprime le choix, rencontre un succès certain. Le Relais de l’entrecôte, à Genève, a d’ailleurs poussé le positionnement à l’extrême puisqu’il ne connaît qu’une seule recette pour remplir les assiettes : entrecôte, frites, salade. Avec une carte un petit peu plus longue, The Hamburger Foundation propose aux Genevois un hamburger avec deux variantes, avec du fromage et/ou du bacon. « Nous produisons nous-mêmes tout ce dont nous avons besoin pour garantir la meilleure qualité possible », explique Marc Gouzer, l’un des trois fondateurs. Du food truck au restaurant, les trois amis d’enfance ont également pris du galon. Avec le même concept, ils ont lancé par la suite « Chez Henri », un bar à huîtres. Les mollusques sont élevés en Bretagne par la famille de Marc Gouzer. Les fondateurs continuent leur expansion à Genève en inaugurant, d’ici à quelques semaines, une nouvelle adresse pour les hamburgers et une autre pour les huîtres.
Le financement participatif devient également un argument de vente. Cent francs contre trois cafés à vie : c’est l’une des offres du futur café lausannois Sleepy Bear. Jusqu’à présent, son propriétaire, Sheil Kataria, a récolté environ 30 000 francs en six mois et créé une communauté de plus de 180 clients fidèles avant-même l'ouverture, prévue pour dans deux semaines.
Selon Lukas Menal, directeur de production dans une maison d’édition lausannoise et auteur du blog Guérilla Gourmande, le phénomène des restaurants à concept est arrivé en Suisse il y a cinq ou six ans : « C’était comme un tsunami, on l’a vu venir mais on ne pouvait pas y échapper ». Il considère d’ailleurs qu’il serait désormais impossible de lancer un nouveau restaurant sans un concept fort. « Pour tenir sur le long terme, il faut soit une cuisine gastronomique, soit des prix très bas. Et ceux qui sont au milieu doivent se spécialiser pour résister à la grande concurrence ». Pour Gilles Meystre, la tendance à la segmentation du marché et à des formes plus typées de restaurants va perdurer. « On ne peut pas vouloir plaire à tout le monde avec une carte généraliste et longue comme le bras », souligne-t-il. « Il faut se profiler ».
Chaque année, 20 à 25% des restaurants ferment, changent de concept ou de propriétaire. Comment réussir ? Une identité claire. Une carte courte et maîtrisée, quitte à la faire évoluer. Des produits de qualité. Un personnel formé. Une bonne communication. Voilà, les mots qui revenaient de la part des professionnels interviewés. « Un concept, c’est un petit peu comme une marque. Elle rassure les clients et ils savent à quoi ils vont être exposés », commente Dominique Turpin. D’après lui, la réussite va dépendre de « l’expérience de A à Z », comme il l’appelle. « Le client juge tout. Il faut donc être original et bon partout, au niveau des goûts, de l’accueil, de la décoration, du choix de la musique, etc. »
Malgré l’arrivée de ces nouveaux conquérants, les établissements traditionnels n’auront pourtant rien à craindre, selon Dominique Turpin, à condition qu’ils s’adaptent au goût des clients. « Il y a encore de nombreuses opportunités en Suisse », affirme le professeur.